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Deux à trois mille nomades colonisent depuis des siècles 800 îles d’un archipel s’étirant entre la Birmanie et la Thaïlande. Ils ont fait de cet environnement un royaume d’équilibre nomade, entre nature et homme. Ils peuvent aussi bien vivre seuls que dans une base militaire. Le monde extérieur, ils s’y adaptent car leur monde intérieur est suffisamment vaste pour y construire une société qui leur est propre et que personne n’a jamais voulu comprendre, nomades jugés « trop primitifs » dès leur découverte en 1826 et pourtant…
Ils sont encore là, et il fallut les premiers travaux de mon père en 1957, puis en 1973-74 pour commencer à percer leurs mystères. Mort sur le terrain, j’ai repris ses travaux et suis surtout tombé dans le piège d’un exotisme que je croyais n’exister que dans les livres.
Concevoir une cérémonie, les lobung, de trois jours et trois nuits avec des transes, des chants, des couleurs vives, des poteaux érigés à la mémoire des hommes forts et véhicules des esprits et de l’âme du chamane, ce n’est pas donné à toutes les sociétés.
Offrandes, représentations parfois de ce qui fut mais n’est plus autorisé car nous sommes dans un Parc marin : plus de tortue en offrandes. Mais qu’importe les contingences, les Moken au milieu des touristes et à la faveur d’une lune complice reconstruisent leur nouveau monde qui les amènera ailleurs, encore ailleurs, toujours ailleurs.
Pourquoi donc amener un photographe alors que nous disposons de milliers d’images et de films ? Encore un chasseur d’exotisme ? Mais non, Laurent Parienti a la sensibilité humaine, la fibre fraternelle et l’amour de la découverte. Un individu sans qualités humaines ne peut être bon dans son travail. Et il faut documenter les nouvelles cérémonies et les changements que Laurent a eu la chance de voir, entre la mission du CNRS en Birmanie il y a quelques années et son travail pour le projet bo lobung du programme Endangered Material and Knowledge Practices (EMKP, British Museum/CNRS), présenté ici.
Et il n’est pas besoin d’en dire plus, ses photos parlent pour lui.
Jacque Ivanoff
